Depuis 5 ans, pour J’irai dormir chez vous, Antoine de Maximy fait cavalier seul. Exceptionnellement, il a accepté d’être accompagné. Et pas n’importe où. À 24 heures d’avion de la France, en Papouasie, pour ce qui pourrait être la dernière aventure de la série.
Bali, il voyait ce que ça pouvait donner. La Papouasie, pas du tout. Raison de plus pour y aller… Surtout quand on s’appelle Antoine de Maximy. Dans l’avion pour Wamena, ville centrale de la Papouasie Occidentale, en plein territoire Papou, il n’en mène pas large. Il n’y a pas si longtemps les Papous étaient encore guerre contre l’Indonésie, qui a annexé leur territoire. Pour une fois, il compulse un guide emprunté au seul touriste de l’avion. Heureusement, il apprend que nous devrons nous déclarer aux autorités dans chaque ville que nous visiterons. L’atterrissage à Wamena se fait au milieu des nuages et sous une pluie fine. Première vision ubuesque à la descente : sur le tarmac du minuscule aéroport, un Papou en «tenue» traditionnelle -couronne de plumes et étui pénien- abrité sous un parapluie.
La ville, uniquement accessible en avion, est comme sortie de nulle part dans cette vallée entourée de hautes montagnes, appréciées par les alpinistes et les ornithologues. Nous empruntons un bechak (pousse-pousse local conduit uniquement par des Papous) pour trouver un hôtel à peu près potable. Antoine a besoin d’un lieu sûr pour son matériel. Car ses mini caméras montées sur tige sont des prototypes fabriqués sur mesure! Au centre ville, où s’alignent des boutiques en tôle, la tension entre Indonésiens (la plupart viennent de l’île de Java) et Papous (qui ont le type africain, papou en Malaisien signifie «crêpu») est palpable. Les premiers tiennent tous les commerces, de la banque à l’épicerie. Les seconds, eux, vendent des fruits à pain et des noix de betel –qu’ils chiquent à longueur de temps et qui leur donne un sourire sanguinolant- à même le sol. Antoine tente sa chance au marché pour réaliser ses premières prises. Un marchand de fruits et légumes, un javanais édenté et excité, l’interpelle. Il veut lui faire goûter la fameuse noix. Antoine, amusé, croque dedans. Et la recrache en grimaçant. «C’est dégueulasse!» Pas besoin de traduction, les commerçants ont compris et éclatent de rire. Aucun ne parle anglais. Antoine, lui, n’arrive même pas à prononcer « Terima kasih » -merci en Indonésien- correctement. La discussion n’ira pas bien loin. Il tentera d’autres approches avec de jeunes Papous, mais il y a comme un malaise. Les sourires sont crispés et les regards parfois méchants. «Je ne le sens pas ici. Si on veut réussir à dormir chez quelqu’un, mieux vaut quitter la ville». Mais il faudra attendre le lendemain. Car ses enregistreurs sont tombés en panne. Catastrophe. Sans eux, pas de film. Après des heures de bricolage et de messages envoyés à la production à Paris, Antoine finit par trouver une solution : enregistrer directement sur les disques durs, qui servent habituellement à sauvegarder le contenu des cassettes. Et c’est moi qui serai en charge de les déclencher et les arrêter pendant le reportage!
Sur notre scooter rouge de location, nous voilà engagés sur la route du sud de la vallée de Baliem. Le paysage est assez uniforme. Des champs de carottes, choux et patates douces, d’autres de bananiers. Quelques rizières aussi. Sur la route, nous croisons des bechaks, prévus pour deux personnes, qui transportent femmes, enfants et marchandises. Mais surtout des piétons. Les paysans, pour la plupart pieds nus, vont ou reviennent du marché de Wamena. Les femmes, minuscules et sèches, portent toutes des jupes plissées héritées certainement des missionnaires hollandais qui ont découvert l’île, et dans un filet qu’elle attache sur le sommet du crâne, transportent leur maigre marchandise. Régulièrement, Antoine me laisse sur le bord du chemin pour tourner des séquences, seul sur la moto. Tous les passants s’arrêtent alors pour me saluer. Quelques femmes vont même jusqu’à me serrer dans leurs bras.C’est d’ailleurs avec une jeune Papoue que le contact se fait enfin. Toujours sur la même route, devant des maisons à toits de chaume, un groupe de femmes s’affairent dans une ravine. Curieux, Antoine stoppe la moto. À peine un pied posé par terre, elles partent toutes dans un fou rire en cascade. Les bourdes d’Antoine les amusent encore davantage. Quand elles lui montrent comment gratter les patates douces, les «farok», Antoine répond «Bonjour». Elles repartent de plus belle. Au bout d’un quart d’heure, il peut enfin poser la question cruciale, avec des gestes : « Je peux venir chez vous ? » C’est d’abord non. Mais elle finit par accepter. Julie a 27 ans, elle a trois enfants. C’est une petite bonne femme au visage rond et rieur. Sa ferme est constituée de trois huttes et de deux bâtiments en dur, une cuisine et une porcherie. Nous faisons les présentations dans la cour, à la pelouse bien entretenue.
Matuan, son frère, a ramené un vieux dictionnaire d’anglais et, pour communiquer, nous montre des mots du bout doigt. Malgré tout, la convivialité s’installe. Ce petit homme barbu au regard enfantin dégage une grande gentillesse. Qui se confirmera tout au long de la journée. Quand le soleil tape trop fort, il nous invite à nous entrer dans la hutte des hommes, par une porte de mois d’un mètre de haut, pour nous jouer de la guitare et de la guimbarde. Antoine le filme sans que ça ait l’air de le déranger. Il ne posera d’ailleurs aucune question sur nos intentions. Son neveu Benyamin, étudiant à Wamena, nous a rejoint. Alors que la nuit commence à tomber, à 18 heures, il s’inquiète pour le repas du soir. «Nous voudrions vous préparer un repas spécial Mister ans Miss». Antoine refuse. «Faites comme d’habitude, ne changez rien pour nous.» Selon ses vœux, nous partagerons avec eux, accroupis dans la cour, éclairés par une lampe torche, des patates douces cuites dans la braise. Une chacun. Julie est gênée de ne pouvoir nous offrir une douche, des toilettes et un lit. Pas de problème, nous dormirons au premier étage de la hutte, sur la paille. Notre choix les étonne. Des amis de Benyamin, qui ont apporté leurs guitares, et ses deux grands-mères, qui fument comme des pompiers, nous ont rejoints après le repas. Les Papous sont catholiques et fêtent ce soir-là « l’arrivée » de la Bible sur leurs terres. Les airs qu’ils nous chantent en choeur, des ballades douces et mélodieuses, sont des remerciements au «seigneur». Quelques détails rappellent leurs anciennes pratiques animistes : l’une des grand-mères a six phalanges et le haut des oreilles coupés. En signe de deuil. Après une nuit à lutter contre la chaleur étouffante de la hutte et à essayer de trouver le sommeil entre les ronflements de la mamie, qui a souhaité dormir à nos côtés, et les grognements des cochons, c’est l’heure du départ. «Merci d’être venus chez nous, Mr Antoine and Miss Caroline», nous dira Benyamin, déjà occupé à partir à la messe en famille. Un jour spécial pour eux, mais surtout pour nous. Nous avons dormi chez les Papous.
Texte et photos, Caroline Douteau, février 2009
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